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Crise Bénin – Niger : entre Talon et Tchiani, un dilemme

Par Dr LANDOZI Saharou

« Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », dixit le général De Gaule. L’Afrique, une mine de débats politiques intuitifs. L’occident, une circonstance d’orientations géopolitiques discursives. Les nouveaux impérialistes (y compris la Russie et la Chine) ne sont pas du reste. Ces derniers temps, la toile s’enflamme. Les frères Tchiani et Talon se lancent des piques. Des invectives par médias interposés. Les frères béninois et nigériens sont confus et se donnent à des discours dithyrambiques tout azimut.

Si les causes de tout ce vacarme datent de loin, la face visible de cet iceberg est connue de tous. La CEDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest qui regroupe 15 Etats de la région, Ndlr), une communauté économique qui jusque-là se limitait aux communiqués et à l’envoi de délégations et/ou d’émissaires comme options de gestion de crise a décidé de tenter une option militaire contre le Niger, pays membre. Dans quelle communauté économique décide-t-on du sort politique au point de prendre une option militaire contre un Etat membre ? Et cela sans qu’aucun des chefs d’Etat prenne l’avis préalable de son peuple. Les actions et réactions disproportionnées sont parties de cette double erreur.

Le Bénin et le Niger ont déjà connu des différends dont celui connu de notre génération est lié à l’île de l’été. Ces questions, touchant l’intégrité territoriale, un des points clés de prestation de serment de tous nos présidents, conduisent à des guerres fratricides ailleurs. Pourtant, des dirigeants bénino-nigériens d’alors, éclairés et visionnaires, les ont résolues sans tapage médiatique. Je ne me rappelle pas que les deux présidents à l’époque se soient parlés par média. Aussi, aucun des présidents ne prête serment pour conduire la croissance économique de son pays par un axe particulier, par un oléoduc. L’union nationale, la cohésion sociale sont des points sacrificiels. Je ne m’attarderai pas sur les questions factices relatives aux bases militaires. Entre accusations et démonstrations, on ne s’en sortira pas. Aucun accord bi ou multilatéral ne tient les deux pays dans ce genre de contexte. Aussi, les craintes sont réciproques. Si le Nigérien craint les bases françaises au Bénin, le Béninois est aussi en droit de craindre les bases russes au Niger.

La mésentente s’est déportée sur le pipeline, investissement réalisé par une société chinoise pour transporter le pétrole nigérien vers le port de Cotonou. A cause de quelques bouts de tuyaux pétrolifères, on se livre désormais à d’interminables gesticulations. Il faut lui fermer les frontières ! Non, il faut le contraindre à ouvrir ! Certains disent et se dédisent quelque temps après. On se compte subitement parmi les patriotes et les dissidents, les non patriotes. C’est comme ça que ça commence ! L’histoire récente de la Côte d’ivoire nous a démontré les limites d’une telle distinction de citoyens. On peut même entendre dire qu’il faut soutenir son président selon qu’on soit béninois ou nigérien, comme si un président ne se trompe pas. En Afrique, il n’est pas rare qu’un collège de présidents se réunisse pour ramer à contre sens et ça fait plus crédible. Ailleurs aussi et en d’autres circonstances, quand les peuples de Freud, Nietzsche, de Schopenhauer, ont suivi Adolphe Hitler bêtement, l’égoïsme des uns a conduit l’humanité dans sa plus grande inhumanité (nazisme, fascisme, Shoah etc.). Aujourd’hui encore, le monde traîne les conséquences de cet instinct grégaire du peuple allemand : ONU, une organisation à cinq têtes qui disent oui et non au gré de leurs intérêts, conflit israélo-palestinien etc…

Le modèle économique des puissances impérialistes de tout temps ne prospère que par des situations conflictuelles qu’elles créent. Avec quelques fusils et miroirs, elles avaient acheté la conscience des peuples côtiers pour massacrer et réduire leurs frères des peuples plus au nord en marchandises. En réalité, il n’y a pas de contrats plus juteux dans les affaires que ceux dans lesquels le cocontractant appelé avec beaucoup d’applaudissements hypocrites  » le partenaire « , est sous la contrainte. Nous les adulons au point où ils se bombent le torse et disent qu’ils nous donnent ce qu’ils nous vendent.

Par exemple, si Tchiani pousse le bouchon et qu’un second pipeline devrait se construire, ce serait à la demande du Niger mais la décision appartiendra aux Chinois. Et c’est là le problème. A cause de cela, pour ce deal ou pour un autre à venir, les Chinois vendront au Niger un chat au prix d’un lion, Tchiani étant sous contrainte. Oui, pour gérer un pays dans son contexte, il lui faut des entrées financières. La France et les Etats-Unis auront déjà bouché toutes les sources conventionnelles en représailles à sa désinvolture. Ce qui se passe actuellement arrange donc la Chine, puissance impérialiste tout de même. Non seulement elle gagne sur ce nouveau contrat, mais elle fera d’une pierre trois coups. Une corde de pipeline qui traverse trois pays (Togo, Burkina et Benin) et les tient au cou. Un investissement colossal qu’elle pourra utiliser pour manipuler toute l’Afrique de l’Ouest. Visionnons ce scénario sur une carte d’Afrique. Ce serait tenir toute l’Afrique par sa gorge. Décidément le pipe casse la pipe à son passage !

Djibouti en a fait les frais. Le port de Djibouti n’appartient plus à ce pays de la corne de l’Afrique qui a une position géostratégique des plus intéressantes dans le commerce mondial du fait de sa proximité avec la mer rouge. L’impérialisme chinois est passé par là, après avoir fait quelques investissements par des contrats léonins. Avons-nous oublié ce qui se passe au Nigéria à côté ? Le Biafra, un territoire de pipelines troués où le pétrole coule par millions de barils pour les compagnies occidentales et par gouttes pour les autochtones, créant une catastrophe naturelle sans précédent. Les oléoducs du Biafra continuent d’alimenter guerres de cession et famines. Avons-nous oublié ce que des mains invisibles ont fait au Soudan ? Elles ont divisé ce pays en deux. Devrait-on parler de la République démocratique du Congo (RDC) où des territoires entiers sont inaccessibles aux autorités de ce pays ? Pensons-nous alors que s’il n’y avait pas dans des mains invisibles sur cette crise bénino-nigérienne, on en serait là ?

En fait, à travers ces quelques exemples, il y a un toute une logique géostratégique patente. Après avoir ruiné l’Irak, la Syrie et l’Afghanistan d’où ils sont partis chaque fois toute honte bue, mais ont réussi à faire leur commerce, ils ont introduit le énième débarquement en Afrique en tuant le serpent africain par sa tête (Kadhafi), comme on le dit chez nous, avec une passivité complice de tous les dirigeants africains ou presque. Tout ce qui se passe aujourd’hui n’est donc pas anodin. Maintenant, la route est libre. Ils déroulent facilement leur plan. La déstabilisation et la balkanisation de l’Afrique de l’ouest se poursuit et certains de nos dirigeants tombent dans le piège, celui de combattre un président africain par un autre. La guéguerre Goïta-Ouattara n’est pas finie quand on a vu apparaître celle Traoré-Ouattara. Maintenant, c’est Tchiani-Talon, tel un jeu de Play-Station dont les manettes sans fils sont dans des mains invisibles, pourtant bien visibles.

Pourtant, c’est une technique post-coloniale, apparue en même temps que les indépendances. Houphouët n’a pas été seulement l’homme de paix. Il a servi à déstabiliser ses paires notamment Sékou Touré et Thomas Sankara. Ensuite, ce fût le cas de Bongo père quand Libreville servait de base arrière de la bande de Bob Denard qui a connu une débâcle à Cotonou du feu Mathieu Kérékou. Entre temps, les regrettés Mobutu et Eyadema ont aussi connu cette période de « gloire », pourtant périodes tristes de notre histoire où celui qui est maintenu au pouvoir devrait servir le maître par tous les moyens. Quand ils finissent de jouer ce rôle, ils sont toujours jetés par le néocolonialiste comme une peau de banane, comme Blaise Compaoré dans ses affres, après tant de zèle sur son frère Laurent Gbagbo. Les mêmes techniques, pourtant les nôtres se refusent de comprendre. Sous les tropiques, les fous du roi sont plus royalistes que le roi et jurent que le roi n’est pas manipulable. Pourtant, si les ordres impérialistes d’hier étaient plutôt injonctifs et physiques, aujourd’hui, les commandes sont sans fils mais bien connectés par du Bluetooth. La technique s’apparente à de l’acupuncture chinoise. Ils nous connaissent tellement dans nos débats passionnés qu’ils n’ont plus besoin de frapper directement. En appuyant à distance sur leur sensibilité, les uns feront le sale boulot aux autres, pourvu que les objectifs soient atteints. Ils nous ont conditionné comme l’expérience de Pavlov sur ses chiens.

Pourtant, nous serons certainement tous positivement impactés si le pétrole passe, si l’oignon passe entre nos deux pays. Mais avant, il faut mettre les egos de côté. Lorsque la maison du voisin brûle, il vaut mieux courir pour l’aider à l’étreindre. Sinon, ils auront raison sur nous. Car, anciens comme nouveaux expansionnistes, « ils allument le feu, ils l’activent et après ils viennent jouer aux pompiers », dixit Tiken Jah Fakoly qui a terminé cette partition par le fameux « on a tout compris ». Ne laissons pas la Chine dicter sa loi au « soldat » Tchiani; sinon un jour il se lèvera dans un Niamey réformé à la chinoise. Ne caressons pas « l’homme d’affaires » Talon dans le sens des poils. On ne gagnera rien dans tout ça. Et s’ils persistent, alors allez leur « dire aux qu’ils enlèvent nos noms dans leur business », encore Tiken Jah Fakoly.

Le choix est donc clair, entre le patriotisme béninois ou le patriotisme nigérien, il faut opposer un patriotisme géostratégique centriste bénino-nigérien, voire ouest-Africain, voire panafricain. Ce n’est pas sur ces questions-là qu’il faudra distribuer des galons de patriotes aux uns et aux autres. On crie trop au patriotisme lorsqu’il s’agit de bavardages creux, sinon, une opération de salubrité dans son quartier, c’est aussi du patriotisme. Je refuse de suivre une position même émanant d’un président dans ce cas. A ceux qui ont leur écoute, pardonnez, dites à nos présidents que l’heure n’est pas aux démonstrations et au populisme, l’heure n’est pas aux justifications par médias interposés, par des invectives de ministres ou porte-paroles. Ils ont tous commis des impairs seuls, sans aviser leur peuple. Qu’ils la réparent dans la sagesse africaine, car des préoccupations plus urgentes (terrorisme, changement climatique, immigration…) et toujours servies par l’impérialiste nous attendent.

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